Section PCF 13009 de Marseille 9

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Le discours irresponsable d'un pouvoir qui perd son sang-froid

Vous bafouez notre république sociale

Loi Travail : exception d’irrecevabilité -

 Par / 13 juin 2016

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement débat sur un projet de loi aura commencé dans un tel climat de tension : un mouvement d’une longévité exceptionnelle – plus de trois mois –, d’une diversité et d’une force impressionnantes exprime le refus de ce texte par la très grande majorité de la population.

MM. Hollande et Valls et vous-même, madame la ministre, semblez surpris, incrédules, face à une contestation que vous ne comprenez pas et jugez illégitime, au point de critiquer le droit de manifester et l’exercice du droit de grève.

Cette incrédulité devant le rejet massif dont l’actuel pouvoir fait l’objet provient d’une profonde incompréhension de l’attachement de notre peuple à son modèle social, un attachement que ni M. Sarkozy ni l’actuel Président de la République ne sont parvenus à éradiquer.

Le code du travail, l’un des forts symboles d’une conception sociale de la République, a été constitué lutte après lutte, décennie après décennie depuis le début de la révolution industrielle. Oui, ne vous en déplaise, il est avant tout un outil de protection des salariés face à la domination patronale. Ne l’oublions pas, c’est la volonté de protéger la santé des travailleurs, enfants, jeunes et vieux, mourant en masse à la tâche qui a suscité les premières luttes, débouchant sur les premières lois sociales puis le code du travail, né en tant que tel au début du XXe siècle.

Oui, la particularité française, que la gauche tout entière a longtemps défendue, c’est la primauté de la loi pour définir le droit du travail. Loin de l’arbitraire du droit anglo-saxon en la matière, c’est la loi, expression du peuple souverain, qui a longtemps garanti les droits fondamentaux des salariés.

Ainsi, l’article 1er de la Constitution dispose que « la France est une république […] laïque, démocratique et sociale ». Son article 34 décline cette idée en ces termes : « La loi détermine les principes fondamentaux […] du droit du travail » et « du droit syndical ».

Cette République sociale, attaquée depuis le début de la crise économique sous la pression du marché et des exigences de Bruxelles, est symbolisée par ces mots du Préambule de la Constitution de 1946, issu du programme « Les jours heureux » du Conseil national de la Résistance : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Le Préambule reconnaît ensuite le droit de grève, le droit à l’action syndicale, le droit à la retraite, le droit à la sécurité sociale et – j’y reviendrai – le droit au repos.

La gauche, celle qui croit en elle-même et se respecte, a toujours eu comme objectif de réaliser ces principes, de les mettre en action.

Madame la ministre, cette aspiration à la justice sociale est profondément ancrée dans l’esprit et dans le cœur de nos concitoyens ; elle ne pourra être éteinte par le passage en force que le Gouvernement tente aujourd’hui, avec la complicité maladroite ou gênée d’un patronat et d’une droite réduits au rôle de faire-valoir.

Ce passage en force est flagrant : de l’absence de réelles concertations, pourtant exigées par l’article L. 1 du code du travail, dont l’esprit, selon MM. les rapporteurs eux-mêmes, n’a pas été respecté, à la mise en œuvre honteuse du 49.3 à l’Assemblée nationale dès la discussion de l’article 1er du projet de loi, l’autoritarisme du pouvoir brutalise la population, les salariés ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Madame la ministre, on ne réforme pas en profondeur le code du travail sans majorité à l’Assemblée nationale ! Sur l’article 2 du projet de loi, relatif à l’inversion de la hiérarchie des normes, la seule majorité qui vous soutient, c’est celle du Sénat… Pouvez-vous en être fière ?

M. Roger Karoutchi. Mais oui ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Messieurs les rapporteurs, permettez-moi de vous citer : « Nous constatons avec satisfaction que le projet de loi s’inscrit dans la continuité des réformes menées par les précédentes majorités. »

Bien sûr, la droite a besoin d’exister, d’autant que ses primaires approchent ; de sa part, la surenchère est donc de bonne guerre, ce qui explique l’ajout dans le projet de loi de propositions ultralibérales et ultraprovocatrices, comme le retour aux 39 heures. Cela étant, bien souvent, madame la ministre, la majorité sénatoriale se contente de revenir à votre texte d’origine, comme pour le plafonnement des indemnités de licenciement.

Que personne ne s’inquiète : nous saurons dénoncer les dispositions rétrogrades promues par les rapporteurs !

L’utilisation du 49.3 à l’Assemblée nationale et la discussion au Sénat non du texte du Gouvernement, mais de celui de la commission ont une lourde conséquence démocratique : le texte du Gouvernement, dans sa cohérence propre, ne sera jamais débattu, ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat.

M. Roger Karoutchi. Ni même au sein du Gouvernement !

Mme Éliane Assassi. En réalité, l’attitude de la majorité sénatoriale de droite sert le Gouvernement. Est-ce voulu ou non ? On peut s’interroger sur ce point.

Quelle sera la véritable constitutionnalité d’une loi qui, en définitive, n’aura pu être débattue telle quelle par l’ensemble des parlementaires ?

Mme Catherine Procaccia. Comme la loi Macron !

Mme Éliane Assassi. La conjonction du recours au 49.3 à l’Assemblée nationale et de la réécriture du texte par le Sénat pose indéniablement problème.

Je concentrerai ma défense de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur l’inversion de la hiérarchie des normes, colonne vertébrale du projet de loi.

Comme je l’ai rappelé, la Constitution fonde le droit du travail sur la loi. Le Conseil constitutionnel lui-même valide régulièrement ce principe en acceptant, par exception, le transfert de compétences aux accords d’entreprise. Je considère, avec mon groupe, que la généralisation de la primauté donnée à ces accords, susceptibles d’être défavorables aux salariés, rompt l’équilibre instauré par la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La dénonciation d’un code du travail entravant la liberté d’entreprise est récurrente depuis plus de trente ans. La gauche tout entière a longtemps résisté à cette pression libérale, avec plus au moins d’ardeur.

Ainsi, en 2008, M. Vidalies défendait une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi de M. Xavier Bertrand instaurant la primauté des accords d’entreprise pour la gestion des heures supplémentaires. Écoutez bien, mes chers collègues, ce que disait alors l’actuel secrétaire d’État chargé des transports :

« Vous avez fait le choix, monsieur le ministre, d’une déréglementation sans précédent des conditions de travail et de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. […] Ceux qui, pendant la campagne présidentielle, n’hésitaient pas à invoquer Blum ou Jaurès se présentent aujourd’hui comme des vieux adeptes d’Adam Smith. […] La droite française est encore dans les vieilles lunes libérales de la déréglementation et de l’individualisation des relations sociales. »

Et M. Vidalies de hausser le ton :

« Outre la déréglementation à tout-va, le fil rouge de votre réforme est la priorité donnée à l’accord d’entreprise. […] Or vous êtes parfaitement conscient de la conséquence immédiate de ce bouleversement, à savoir l’émiettement, l’atomisation des règles d’organisation du temps du travail. »

Et M. Vidalies de poursuivre :

« Que pourront faire les salariés d’une entreprise soumis au chantage d’un alignement par le bas sur un accord accepté dans une entreprise voisine ? Il n’y aura alors guère de négociation possible, puisque c’est leur emploi qui sera en cause. »

Et M. Vidalies de conclure en ces termes, qui pourraient aussi bien s’appliquer à votre projet de loi, madame la ministre :

« Avec votre projet, le dumping social sera au rendez-vous et la négociation collective s’effectuera toujours sous la contrainte des accords socialement les plus défavorables. On peut facilement imaginer comment vont se dérouler de telles négociations. »

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Bravo, monsieur Vidalies ! (M. Roger Karoutchi rit.)

Mme Éliane Assassi. Ce discours de M. Vidalies, qui m’a moi-même étonnée, tant il étale au grand jour le renoncement d’un membre du Gouvernement qui vitupère chaque jour contre les grévistes,…

Mme Nicole Bricq. Heureusement qu’il était là pour la SNCF !

Mme Éliane Assassi. … pourrait prêter à sourire s’il n’était pas symbolique de la raison profonde de votre échec, madame la ministre, et de celui de MM. Hollande et Valls.

Notre peuple n’en peut plus de ces gens qui se font élire et oublient le lendemain leurs promesses et leurs discours.

M. Philippe Dallier. Et voilà !

Mme Éliane Assassi. M. Hollande n’a pas été élu pour renverser la hiérarchie des normes et donner les clés du droit de travail au MEDEF ! En 2008, il avait signé, ainsi que M. Valls, la saisine du Conseil constitutionnel consécutive à l’intervention de M. Vidalies…

À propos de l’inversion de la hiérarchie des normes en matière de repos compensateur, voici ce que faisaient valoir les auteurs de cette saisine : « L’atomisation des règles du droit du travail qui en résulte tourne le dos à la conception sociale de notre République. La fragmentation des règles protectrices du droit du travail tourne le dos à l’ordre public social. » Que de chemin parcouru en quelques années…

Madame la ministre, l’article 2 de votre projet de loi, retouché par la droite ou non, est profondément anticonstitutionnel, comme vos amis le démontraient en 2008, en ce qu’il brise la hiérarchie des normes fondée par les principes républicains les plus forts. La jurisprudence du Conseil constitutionnel établie en 2004 et en 2008 est claire : tout renvoi non encadré à un accord d’entreprise de dispositions relevant de la Constitution, comme le droit au repos, doit être censuré.

Malgré vos précautions, votre projet de loi est truffé de mesures de ce type. Je pense par exemple à la possibilité de fixer par accord d’entreprise les jours fériés chômés en dehors du 1er Mai : cette disposition offense brutalement, frontalement le principe constitutionnel du droit au repos.

Nous ne pourrons saisir seuls le Conseil constitutionnel, mais peut-être ceux qui l’ont fait en 2008, et qui sont encore nombreux dans notre assemblée, se ressaisiront-ils et nous rejoindront… (M. Roger Karoutchi rit.)

Oui, la Constitution est profondément bafouée ; mais, au-delà, c’est à la République sociale que l’on porte atteinte, celle des canuts et de la Commune, de 1936 et du Conseil national de la Résistance, des accords de Grenelle de 1968 et des avancées de 1981.

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas vrai !

Mme Éliane Assassi. C’est cette histoire que vous foulez aux pieds, madame la ministre, en entonnant la vieille rengaine patronale de la compétitivité, de la rentabilité et du nécessaire profit !

Du reste, le peuple l’a bien compris, comme il l’avait compris en 2005 en découvrant la réalité du traité constitutionnel européen, malgré une campagne travestissant en vecteur de progrès social un texte porteur d’une terrible régression sociale.

Madame la ministre, le peuple refuse votre projet de loi, et il le criera encore très fortement, demain, dans les rues de la capitale : vous devez le retirer !

Pour l’heure, après la gifle infligée au Parlement avec le recours au 49.3, le Sénat s’honorerait en rappelant le Gouvernement à ses obligations constitutionnelles et au devoir de respecter l’histoire sociale de notre pays. Pour cela, mes chers collègues, je vous invite à opposer l’exception d’irrecevabilité au présent projet de loi !

 

 

Le discours irresponsable d'un pouvoir qui perd son sang-froid

le 15 June 2016

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